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Ecologie vraie et réelle..
4 novembre 2015

Le volcan Kuwae..un peu d'histoire..suite..et..fin

Photo-carte-Epi-Kuwae-Tongoa

 

Photo-carte..ci-dessus montrant l’étendue de la '’Caldera’’ et du trou béant
après l’éruption volcanique..

Kuwae ou la naissance du monde..suite et..fin.

Comment alors en écrire l’histoire ? La world history resta longtemps cantonnée, à tort sans doute, par la recherche française comme une spécialité propre aux campus américains. Mais elle trouve aujourd’hui en France un nouveau souffle dans « l’histoire connectée » défendue par Serge Gruzinski et Sanjay Subrahmanyam . Il ne s’agit pas seulement de braquer le projecteur sur les voies de passage et les métissages, les échanges au long cours et le décloisonnement des sociétés : contrairement à une idée reçue, l’histoire du monde est aussi, aujourd’hui comme hier, la chronique de ses « antimondialisations » qui provoquent le repli sur soi et l’indifférence aux autres.

Mais, par histoire connectée, on doit aussi comprendre la mise en synchronie des temps du monde. Ainsi l’invention occidentale du Nouveau Monde correspond-elle, à la toute fin du XVe siècle, à une conjonction hasardeuse des attentes millénaristes. On sait bien désormais que la grande geste de Christophe Colomb en 1492, et plus tard celle de l’expansion portugaise au temps du roi Manuel Ier 1495-1521 s’inscrivent pour leurs acteurs dans l’horizon eschatologique de la fin des temps.

Si l’on en croit certaines prophéties du calendrier maya annonçant le bouleversement du monde et l’irruption d’une nouvelle religion, ce millénarisme des conquistadores rencontrait celui des sociétés qui s’attendaient à être vaincues. Mais l’on sait peut-être moins que l’an 7000 du calendrier byzantin commençait en 1491, et que les tables chronologiques qu’utilisait le clergé pour calculer la date de Pâques n’allait pas au-delà : cela provoqua une onde d’inquiétude en Russie, le nouvel empire dont la capitale, Moscou, se présentait comme la troisième Rome. Quant au Xe siècle de l’hégire, qui correspond à l’année 1494, il précipita également l’Empire ottoman, le Maghreb et surtout l’Iran safavide dans l’espoir messianique : on attendait l’arrivée d’un souverain rénovateur des temps nouveaux, le mujaddid. En 1501, le chah Isma’ il prétendait l’incarner et bouleversait le jeu politique iranien, de même qu’en Inde Sayyid Muhammad.

En connectant des temporalités qui s’ignoraient mutuellement, les millénarismes suscitent donc des rapprochements inattendus, qui sont porteurs d’histoire. On le voit : l’histoire connectée permet d’échapper aux artifices de ce que l’on peut appeler l’histoire simultanée, et qui consiste simplement à constater des coïncidences.

Pas plus que celui de Tchernobyl, le nuage de Kuwae ne connut de frontières : il fit le tour de monde. Mais, à la différence de la catastrophe nucléaire, celle de l’archipel de Vanuatu resta longtemps ignorée de l’humanité qui en subit pourtant les conséquences. Il est bien sûr tentant d’adopter le point de vue de l’étoile Sirius pour suivre le voyage atmosphérique des poussières volcaniques : quels ciels ont-elles obscurcis en 1452 ?

Ceux de l’océan Indien recouvrent sans doute l’espace le plus densément connecté du milieu du XVe siècle, où confluent les deux grands bassins commerciaux de la mer de Chine et de la Méditerranée. Les négociants chinois musulmans, les marins malais ou les marchands indiens du Gujarat le parcourent en tous sens. Au XVIe siècle, les navigateurs portugais ne feront rien d’autre que de s’insérer dans ce réseau mondialisé, pour en capter les profits : ils se glissent dans un système spatial déjà largement constitué, de la même manière qu’ils profitent, en Afrique orientale, de la littoralisation des grands ensembles politiques.

En Chine, en revanche, l’heure n’est plus aux expéditions : les grandes navigations de l’amiral Zheng He, qui ont contourné les côtes de l’Afrique, ont pris fin en 1433. Le déplacement de la capitale de Nankin à Pékin et la construction au nord de ce que l’on appelle aujourd’hui la Grande Muraille pour se protéger des Mongols qui infligèrent à l’empire des Ming la déroute de Tumu en 1449 réalisent ce grand recentrement de la Chine sur son propre espace : elle n’a pas besoin de conquérir le monde, elle est le monde.

Entre la Chine et l’Europe, le vaste corridor eurasien des horizons interconnectés qui a toujours fait de l’Eurasie un seul et même système spatial passe désormais par le centre effondré de l’Islam. En prenant le pouvoir au coeur de l’espace turco-mongol, Tamerlan prétendait relancer l’aventure conquérante de Gengis Khan. Il détruisit le sultanat de Delhi 1398, défit la puissance ottomane 1402 et projeta de s’attaquer à la Chine. Mais sa mort en 1405 laissait son empire sans postérité : les tribus turkmènes s’emparèrent de ces vieilles terres d’Islam, dont le centre de gravité se déplaça vers les sultanats mamelouks et ottomans. C’est ce dernier qui passe à l’offensive : dès l’été 1452Mehmet II ouvre les hostilités contre ce qui reste de l’Empire byzantin, dont la diplomatie tente en vain d’alerter les puissances occidentales sur l’imminence du danger.

Ces souverains sont préoccupés d’autre chose. Frédéric III de Habsbourg vient de se faire couronner à Rome, le 19 mars 1452 - ce sera le dernier empereur à recevoir sa couronne de la main des papes. Car, tandis que ces derniers affirment avec de plus en plus d’insistance la mission universelle de l’Église qu’ils prétendent incarner, s’impose - presque - partout en Europe le principe de l’État monarchique national. A cette date la France et l’Angleterre s’apprêtent à livrer la dernière bataille de ce qu’il est convenu d’appeler la guerre de Cent Ans le 17 juillet 1453 à Castillon. Mais parler de la fin de la guerre de Cent Ans en 1453 ou du couronnement du dernier empereur à Rome l’année qui précède, c’est encore adopter le point de vue de Sirius : les hommes qui ont vécu ces événements étaient évidemment ignorants de l’histoire qu’ils enclenchaient et qui allait leur donner un sens.

Cette histoire, elle, s’annonçait cependant dans le ciel zébré de prodiges et de présages. Ceux-ci étaient, à n’en pas douter, autant de signes à déchiffrer. Ainsi pensaient probablement les astrologues du sultan, dont les troupes ottomanes assiégeaient Constantinople. Le 25 mai 1453, la ville était enveloppée de cet épais brouillard qui, depuis plusieurs mois, obscurcissait l’horizon. On le vit soudain se trouer de lueurs étranges, qui glissaient sur le dôme de la grande église de la Divine Sagesse Sainte-Sophie. Point de doute alors pour les interprètes des signes divins : la vraie foi allait bientôt illuminer ce saint lieu. Pour les assiégés en revanche, cette étrangeté atmosphérique n’était qu’un funeste présage de plus, qui venait s’ajouter aux pluies glacées et aux nuées insinuantes qui, depuis plusieurs mois déjà, intriguaient les habitants, à Constantinople comme partout ailleurs sur la Terre.

Lorsqu’il rédige en 1965 sa Chute de Constantinople, l’historien Steven Runciman partage cette perplexité : « On n’expliqua jamais ce qu’étaient ces étranges lumières . » On se l’explique mieux aujourd’hui : scintillaient dans le ciel les poussières refroidies d’un volcan qui avait explosé, plusieurs mois auparavant, à plus de 17 000 kilomètres à l’est, dans une partie du monde dont on ignorait jusqu’à l’existence. Et si, dans la conscience occidentale, 1453 dispute à 1492 l’ambigu privilège de clore cette période que l’on a pris l’habitude d’appeler « Moyen Age », l’histoire du monde qui advient au xve siècle trouve peut-être son origine dans ce lieu vide laissé par l’éruption de Kuwae, un an auparavant, en 1452.

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