L’entre deux guerres..1870..1914..
François Caron, historien économique français, écrit qu’à la fin du XIXème siècle « La France est devenue insensiblement une petite Nation ».
Problématique : Dans quelle mesure les variations de la croissance de la période 1880-1914 révèlent elles un certain « retard français » ?
Dans une première partie nous étudierons la période de la Grande dépression dans l’économie française, puis dans une seconde partie comment la France vit le renouveau industriel de la Belle Epoque, et enfin nous verrons les facteurs de ce « retard français ».
L’économie Française est un peu à l’image de cette roue, la roue tourne, l’économie avec, ça va, ça vient, ça s’en va…
Au départ c’est une crise d’ampleur mondiale qui s’abat dès 1873. Elle débute en Europe germanique avec l’effondrement boursier du 8 mai 1873 à Vienne, avec comme origine première le payement d’une indemnité de 5 milliards par la France à l’Allemagne. Une panique financière s’empare au même moment des EU. Cette crise pourtant n’atteint pas la France qui ne sera touchée que plus tard, en 1882. La période de décélération qui s’amorce est ponctuée par plusieurs crises:
- 1882 : « crise lyonnaise », c’est la faillite d’une banque lyonnaise qui provoque le krach de l’Union Générale, s’en suit une cascade de faillites, jusqu’en 1886 il règne un véritable désordre économique.
- Entre 1890 et 1895 : difficultés financières en Argentine => faillite de Baring Bros et Cy puis plusieurs faillites (dont celle de la compagnie chargée du percement de l’isthme du Panama).
Longue phase descendante, dont les origines sont complexes. Asselain explique ce fléchissement par :
• Les conséquences de la défaite de 1870 : pertes territoriales dont l’Alsace Lorraine qui est alors l’une des régions les plus industrialisées de France.
- La dépression agricole comme le facteur déterminant de la dépression de l’économie française.
2. Stagnation agricole
Si le Second Empire a été considéré comme l’âge d’or de l’agriculture (1852-1870) notre période représente la principale rupture dans l’histoire économique française au cours du 19ème siècle, on observe en effet une stagnation agricole aux alentours de 1860-70, quasi-totale jusqu’en 1890. La croissance de la production agricole fut en moyenne de 0,26 % par année. Elle se traduit par une baisse générale et nette des prix du secteur. Cette stagnation est antérieure à la crise industrielle.
Le ralentissement de la croissance industrielle a été plus modéré qu’en ce qui concerne la stagnation agricole. Le ralentissement s’amorce à partir des années 1860 jusqu’à la fin du siècle. La dépression agricole a un effet direct sur le secteur industriel. Elle est en effet responsable d’une baisse des migrations de main d’œuvre vers l’industrie et de la demande de produits industriels. L’industrialisation a souffert de la stagnation du pouvoir d’achat des agriculteurs, qui serait responsable de 60 à 75 % de la baisse de la croissance industrielle. Ce facteur creuse l’écart entre la France et des nations comme l’Allemagne et les Etats Unis pour qui la croissance agricole est restée sur de bons rails. L’industrie française pâtit également du protectionnisme des marchés extérieur (Etats Unis, Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie, Suisse, Canada …) qui limite la demande de produit industriel français. Les secteurs touchés sont les chemins de fer, la sidérurgie, la métallurgie …
Cependant la politique économique de l’Etat a permis de limiter la casse dans le secteur industriel : l’Etat accroît ces dépenses publiques économiques jusqu’à 20% en 1880-84, essentiellement dans le grand programme Freycinet pour l’aménagement de voies navigables et de lignes supplémentaires de chemins de fer (17000 km en plus) pour soutenir l’activité économique en facilitant les transports de produits et de matières premières. A cette période les facteurs de freinage divers s’accumulent mais la politique économique de l’Etat permet d’éviter une réelle rupture du processus d’industrialisation.
Photo ci-dessus représentant l’intérieur de la grande halle avec les machines de la salle des machines.
Photo ci-dessus automobile Amédé-Bolé-1909.
• L’innovation industrielle entraîne également un regain de dynamisme dans les branches anciennes de l’industrie. L’industrie cotonnière retrouve « un second souffle » à partir des années 1890 de même que l’industrie du lin et de la soie. L’industrie métallurgique se relève de la dépression face à des besoins de plus en plus diversifiés. Il faut noter qu’entre 1890 et 1913, la production française de fonte est multipliée par trois et celle d’acier par quatre.
La France fait donc preuve d’une bonne adaptation à ce qu’on appelle la deuxième révolution industrielle.
• Dans le secteur agricole, le protectionnisme permet une remontée des prix à partir de la fin des années 1890, une croissance postérieure à celle des prix industriels. L’agriculture est protégée contre le marché extérieur grâce aux mesures prises par l’Etat. Il n’y pas de véritable relance significative de la production agricole, le secteur ne parvient pas réellement à refaire surface après la grande Dépression. Cependant elle n’est plus un frein à la croissance industrielle.
Photo avec une vue d’ensemble de l’exposition.
2. La modernisation des structures entrepreneuriales et financières
• Lors de la grande dépression, les pressions du monde paysan avaient poussé l’Etat, par l’intermédiaire du ministre Méline, à voter le retour au protectionnisme et ainsi le renoncement au libre échange. Une mesure qui s’était déjà généralisée aux autres grandes puissances de l’époque. Le capitalisme, aussi bien industriel que financier est en pleine mutation.
• Afin de restreindre la concurrence, un phénomène de concentration des entreprises, relativement modéré certes par rapport aux Etats Unis et à l’Allemagne, touche la France : les dix premières entreprises françaises dans le secteur de la sidérurgie contrôlent 70% du capital sidérurgique national au début du XXème siècle, la métallurgie de l’aluminium est sous le contrôle de seulement deux sociétés…
• Les entreprises se réunissent dans des cartels afin de réguler de manière stricte la production et la commercialisation dans une branche de l’industrie au sein du pays. Chaque entreprise garde son indépendance mais elles sont liées par une Entente. On observe ceci en France dans le secteur de la sidérurgie, du charbon ou encore de la chimie avec notamment le cartel dominé par Saint-Gobain.
• Ce phénomène de concentration s’étend au secteur bancaire avec des banques d’affaires qui soutiennent le financement des entreprises industrielles, comme la Banque de Paris et des Pays Bas. Il s’avère en fait que le capitalisme français a une grande influence : en effet l’épargne française permet de financer les emprunts d’Etat et l’importance des investissements offre une possibilité de contrôle sur des sociétés étrangères.
• Le nombre de salariés en France croît, il s’élève à 58% de la population en 1900, cependant on conserve une part de travailleurs indépendants assez élevée, ce qui est une caractéristique de la société française à cette époque.
• La population rurale, bien que population dominante, est touchée par l’exode rural et décline au profit des sociétés urbaines. Elle est touchée de plein fouet par la crise, mais la protection des mesures de l’Etat permet la préservation de la petite et moyenne paysannerie. Par la suite, les conditions de vie restent pourtant très précaires.
• La deuxième moitié du XIXème siècle est la période de l’avènement de la classe ouvrière, amené par le développement du travail salarié en usines et entreprises. En 1906 en France, on ne compte pas moins de 6 millions d’ouvriers, dont plus d’un tiers dans l’industrie textile. Les conditions de travail sont très difficiles, les ouvriers vivent dans l’ « incertitude du lendemain ». Une loi de 1900 fixe la durée de travail hebdomadaire maximum par ouvrier à 60 heures. Les journées sont longues et éprouvantes. Tout ceci contribue à la formation d’une identité ouvrière, d’une prise de conscience sociale, ce qui les mène à s’organiser afin de faire connaitre leur mécontentement, avec des idées qui se veulent ouvertement révolutionnaires. Née dès 1870, la contestation ouvrière s’amplifie entre 1890 et 1900 et la multiplication de grèves.
Photo ci-dessus de la première machine à calculer-exposition universelle.
1. L’influence démographique sur le « retard français »
Chiffre initial Taux d’accroissement
1816-1846 30,0 0,55
1846-1866 35,4 0,27
1866-1886 36,5 0 ,19
1886-1901 37,9 0,08
1901-1911 38,4 0,20
Caron, Histoire économique de la France.
Ceci s’accompagne d’une baisse précoce de la natalité. Ce fléchissement se confirme à partir du début du XXème siècle car le phénomène s’accentue. Un phénomène qui affecte le monde rural comme urbain, milieu favorisé comme défavorisé. Il s’accompagne d’une baisse de la fécondité (10 naissances par an pour 100 femmes en 1880, seulement 7 en 1913) qui touche également toutes les régions et tous les milieux sociaux. En contrepartie les progrès de l’espérance de vie sont lents : 48 ans pour les hommes, 52 ans pour les femmes en 1910. Et depuis la fin du 19ème siècle, le renouvellement de la population n’est alors plus assuré, on a donc un phénomène de vieillissement de la population française, plus précoce que dans les autres pays d’Europe. Il faut prendre en compte la proportion d’étrangers dans la population française, qui s’élève à hauteur d’environ 3% en 1911 considérée comme un apport de main d’œuvre. L’immigration apparaît donc comme un facteur compensateur du déclin démographique.
La France pâtit d’un retard de l’urbanisation, de l’ordre d’un siècle par rapport à l’urbanisation britannique. La population française est toujours en majorité rurale (56% en 1901). Cependant on observe également le départ de 150 000 ruraux vers les villes chaque année, ce qu’on appelle l’exode rural, ayant pour conséquence une baisse significative de la population du monde agricole. Ceci contribue à creuser le fossé entre le monde agricole toujours stagnant et la monde urbain de plus en plus dynamique.
Photo ci-dessus de la pagode d’Angkor.
- Tout d’abord le bassin parisien qui apparaît comme le premier pôle industriel de France.
- Viennent ensuite le Nord (textile et métallurgie),
- la Lorraine (production de fonte et d’acier)
- et la région lyonnaise (industries récentes). Il y a donc bien un déséquilibre spatial de l’industrie française.
Se pose aussi la question de la mise à profit de l’Empire colonial. Car si au départ l’Etat français avançait un argument en partie économique à l’expansion coloniale, avant 1914 les relations coloniales avec la France n’occupent qu’une place infime dans l’économie du pays : 12% de son commerce extérieur en 1913 et seulement 10% des exportations de capitaux. Ce point n’a fait qu’augmenter à l’époque la controverse sur les véritables raisons de l’expansion coloniale elle-même.