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Ecologie vraie et réelle..
17 février 2016

La guerre de 1914-1918.. fabrications traditionnelles et modernisation industrielle durant la Grande Guerre..suite..

Photo-véhicule-treuillage-cerfvolant-1911

 

Photo ci-dessus avec le véhicule type équipé du treuil à l’arrière pour l’ascension du système complet de cerfs-volants..

Photo-syst-treuil-cerf-volant-14-18

Photo ci-dessus montrant le système complet avec le véhicule de treuillage, les différents cerfs-volants et la nacelle avec l’observateur..

Photo-cerfvolant-14-18

Photo ci-dessus avec l’observateur dans sa nacelle juste sous le cerf-volant porteur..

1917-1918, l’essor de l’automobile et de l’aviation

 Ces deux secteurs, déjà très actifs et très bien représentés dans la région parisienne avant le déclenchement du conflit, vont connaître un développement extraordinaire. À la fin de 1915, les grands constructeurs automobiles emploient au total environ 24 000 personnes à Paris et en proche périphérie. Si tous ont d’abord détourné une plus ou moins grande partie de leur capacité pour produire des munitions, ils vont se consacrer à nouveau à leur spécialité en développant la construction de camions pour le transport des troupes et des fournitures, de tracteurs d’artillerie pour véhiculer sur route et en terrain accidenté des pièces de plus en plus lourdes, de véhicules spéciaux (autos blindées, voitures-projecteur) et de chars d’assaut, dans le cas de Renault. Dans le secteur aéronautique, les entreprises sont de plus petite taille – Farman compte 1 400 ouvriers en 1915 et le motoriste Salmson 1 200 – mais elles sont en plein essor et commencent à s’étendre en banlieue. À la fin du conflit, l’aviation emploie au total 186 000 personnes, dont 40 000 sur la seule commune de Boulogne-Billancourt. Seul ce secteur sera développé ici.

 En 1914, l’aviation est une industrie presque entièrement située dans la région parisienne, tant pour la fabrication des appareils que pour celle des moteurs, avec les entreprises Farman, Voisin, Salmson et Renault à Boulogne-Billancourt, Morane-Saulnier à Puteaux, Nieuport à Suresnes, Letord à Meudon-Val Fleury, Blériot et Clerget-Blin à Levallois-Perret, Lorraine-Dietrich à Argenteuil, Hispano-Suiza à Colombes, Gnome à Gennevilliers et Le Rhône à Paris, boulevard Kellermann. Lorsque la capitale est menacée, avant la contre-offensive de la Marne, certains constructeurs ont prévu des solutions de repli vers Lyon, qu’ils n’auront pas à mettre en œuvre. Deux autres constructeurs viennent les rejoindre, fuyant l’avancée allemande : Caudron, auparavant installé au Crotoy, et Hanriot, anciennement à Reims. L’histoire de l’industrie aéronautique française pendant la Grande Guerre est un vaste sujet qui mériterait un long développement à lui seul. C’est pourquoi il sera abordé ici sous un angle emblématique, celui des moteurs rotatifs qui ont équipé plus de la moitié des appareils entre 1914 et 1918 et ont été fabriqués à environ 50 000 exemplaires, grâce essentiellement aux constructeurs Gnome-Rhône et Clerget-Blin. L’essor de ce type de moteurs et son maintien en usage pendant quatre ans, malgré l’existence de moteurs à cylindres en V ou en ligne plus puissants, sont dus à la conjonction de plusieurs facteurs : la nécessité de faire voler des aéronefs légers avec des machines développant une forte puissance pour un poids le plus faible possible, les progrès de la voilure des avions qui étaient moins rapides que ceux de la motorisation, l’inventivité de quelques ingénieurs motoristes et le succès de ces engins auprès des aviateurs.

 

Au début de l’aviation, on monte sur les appareils des moteurs classiques. Ils sont cependant lourds et nécessitent des circuits de refroidissement par eau qui grèvent leur poids. En outre, en cas de combat aérien, ces circuits risquent d’être traversés par les projectiles ennemis, rendant le moteur inutilisable. Le moteur en étoile, qui existe depuis les années 1890 sur les cycles Millet, pourrait offrir des perspectives. En 1909, les frères Séguin imaginent à partir de ce concept un moteur révolutionnaire : ils créent un 7 cylindres en étoile, baptisé Gnome oméga, dont l’ensemble du carter et des pistons tourne autour d’un vilebrequin fixe (dans les moteurs fixes, c’est le vilebrequin qui tourne en actionnant les pistons dans les cylindres). Cette innovation va ouvrir une voie nouvelle pour la motorisation aéronautique. Le système des frères Seguin permet d’alléger la machine : en effet, la rotation fait que le moteur constitue son propre volant d’inertie. Elle améliore par ailleurs le refroidissement par les ailettes, même lorsque l’avion est à l’arrêt, de sorte qu’un circuit d’eau n’est pas nécessaire. L’admission du mélange air-essence, dispositif insolite, se fait à travers le vilebrequin qui est creux ; il entre dans les chemises par une soupape percée dans les pistons. Par ce système, le carburant arrive déjà à bonne température dans les cylindres et il n’y a pas besoin d’un circuit de réchauffage. L’échappement se fait à l’air libre par une soupape en tête de chaque cylindre. L’ensemble est lubrifié par de l’huile de ricin qui passe également par le vilebrequin et qui est éjectée en tête des cylindres par la force centrifuge, en même temps que les gaz d’échappement, sans recyclage. Les réglages sont délicats et varient d’un moteur à l’autre mais, une fois mis au point, le moteur Gnome oméga tourne avec régularité et développe 50 ch pour 79 kg ; il rencontre immédiatement un grand succès auprès des aviateurs, qui le baptisent familièrement « rototo ». Un an plus tard, l’ingénieur Louis Verdet construit pour la société Le Rhône un clone du moteur Gnome oméga en améliorant notamment la carburation. Le Rhône et Gnome créent ensuite chacun un 9 cylindres rotatif. De son côté, l’ingénieur Pierre Clerget construit pour Clément-Bayard le même type d’engin. En 1913, ayant monté sa propre entreprise avec Émile Blin qui lui apporte les capitaux, il crée, en concurrence des deux autres firmes, un moteur rotatif 9 cylindres de 130 ch. Ainsi, en 1914, trois sociétés de la région parisienne produisent ce type de machine.

Photo-moteur-Clerget-usine-Salmson-de-Billancourt

 

Photo ci-dessus du moteur Clerget.

Moteur Clerget 130 ch, 1 200 tours, 170 kg à l’usine Salmson de Billancourt (Hauts-de-Seine).

Photo-moteur-étoile

 

Photo ci-dessus d"un moteur à étoile.

L’arbre, les bielles et les cylindres d’un moteur en étoile à l’usine Salmson de Billancourt (Hauts-de-Seine).

Quand la guerre éclate, les rotatifs sont encore peu répandus dans le domaine militaire. L’aviation, dispersée sur le front, n’est pas la priorité de l’armée et celle-ci utilise des moteurs de technologie plus ancienne. Le général Hirschauer, nommé directeur de l’Aéronautique en octobre 1914, la réorganise et commande en masse et dans l’urgence de nouveaux avions en privilégiant quatre modèles. Un peu plus de 500 appareils sont fabriqués avant la fin de l’année 1914 mais la production des moteurs ne suit pas : la construction des cellules, essentiellement en bois et toile, est plus rapide que celle des moteurs. La diversification de l’aviation en 1915 (naissance de la chasse ; nécessité d’une aviation de bombardement tactique sur le terrain, d’une force de bombardement stratégique pour frapper en profondeur le territoire ennemi et d’une aviation de reconnaissance aérienne pour les réglages d’artillerie) accroît encore les besoins. Or, les usines sont sous-dimensionnées. Une des premières décisions du gouvernement est d’activer le rapprochement, au début de 1916, des entreprises Gnome et Le Rhône qui fusionnent en une seule entité, la Société des moteurs Gnome et Rhône. La production de la SMGR va ainsi passer de 600 moteurs environ au deuxième semestre 1914 à plus de 13 000 en 1918, malgré la chute d’un obus sur l’usine de l’avenue Kellermann le 11 avril 1918, pendant les bombardements sur la capitale. La production totale de l’entreprise Gnome et Rhône pendant la Grande Guerre est de plus de 23 000 moteurs rotatifs.

SMGR

1914

1915

1916

1917

1918

Chiffre d’affaires en millions de F

ND

44

75

100

93

Bénéfices en millions de F

9,6

13

14

7,7

ND

Nombre d’employés

2 000

3 000

5 000

ND

ND

Activité de la société des moteurs Gnome et Rhône, d’après Lemaire, René, Pecastaingts, Pierre et Hartmann, Gérard, Produire en masse des moteurs d’aviation, 1914-1918. 

Les chiffres sont impressionnants mais l’entreprise subit de fréquents retards de paiement de l’État, voit le prix des matières premières augmenter et doit aussi passer au compte des pertes son usine de Moscou tombée aux mains du nouveau pouvoir russe en 1917. Par ailleurs, l’État ponctionne la SMGR en l’obligeant à souscrire sept millions de francs de bons de la Défense nationale en 1915, puis dix millions de francs en 1916.

La technologie française des moteurs rotatifs essaime à l’étranger. Le moteur Clerget-Blin 9 cylindres, bien qu’ayant été homologué par le service technique de l’aéronautique (STAé) à Chalais-Meudon en 1914, n’est pas retenu dans les programmes d’équipements français. Pourtant, la Grande-Bretagne le choisit pour en équiper ses hydravions de combat et ses avions de chasse, notamment le Sopwith camel qui remporte un très grand nombre de victoires au cours du conflit. Les usines françaises ne pouvant produire suffisamment de moteurs, les Anglais le fabriquent sous licence en Angleterre en y apportant des améliorations, notamment des pistons en aluminium. En 1916, toujours dans le but d’augmenter la puissance en gardant la légèreté, Pierre Clerget crée un moteur rotatif en étoile de 11 cylindres et 23 litres, à taux de compression variable et développant 200 ch, qui équipe les bombardiers Sopwith Strutter. En 1917, il prépare un 16 cylindres en X de 400 ch qui ne passera jamais au stade de la fabrication en série, rattrapé par l’armistice. Pendant le conflit, la production totale des moteurs Clerget-Blin est d’environ 30 000 pièces (France et Grande-Bretagne).

Photo-ateliers-moteurs-Gnome-Argenteuil

Atelier des moteurs Gnome à Argenteuil (Val-d’Oise).

Photo-Argenteuil-moteur-gnome-essais

Argenteuil (Val-d’Oise). Moteur Gnome au banc d’essai sur un affût de canon, avec une hélice-frein.

Les moteurs rotatifs équipent l’essentiel de la chasse jusqu’à la fin de 1916. Tout au long du conflit, on assiste entre la France et l’Allemagne à une course à la puissance, à l’aérodynamisme, à la maniabilité et à la disposition des instruments de tir sur les appareils. Les modèles d’avions connaissent une obsolescence très rapide et sont vite périmés. Il faut sans cesse innover tout en continuant à produire et réparer les moteurs existants, qui nécessitent des révisions très fréquentes ou qui cassent. En juin 1915, l’aviation allemande se dote du Fokker E1 à moteur Oberursel, une copie du rotatif Gnome fabriqué sous licence en Allemagne. Cet avion vole parfois aussi avec une machine Le Rhône capturée. En effet, dès qu’un appareil français à moteur rotatif est pris, les aviateurs allemands s’empressent de réutiliser celui-ci sur leurs propres avions. C’est le cas du pilote Manfred von Richthofen, alias « le Baron Rouge », qui sera abattu aux commandes d’un avion sur lequel est monté un moteur français. Le Fokker E1 peut tirer à travers l’hélice et fait la loi dans les airs, jusqu’à la sortie d’un concurrent français, le BB Nieuport, beaucoup plus agile et doté d’une très grande vitesse ascensionnelle. Pendant un an et demi, les versions successives de ces deux appareils, toujours équipées de moteurs rotatifs dont la puissance se développe, vont se voler la vedette dans les combats aériens.

Photo-avion-Nieuport

Un avion Nieuport accidenté capturé par les Allemands. Phot. inconnu.

Les moteurs fixes n’ont pourtant pas dit leur dernier mot. À la fin de 1916, après six mois d’essais, la Société de production des aéroplanes Deperdussin sort un nouvel appareil, le SPAD S.VII à moteur Hispano-Suiza de 8 cylindres en V développant 180 ch, bientôt aux prises avec un nouveau modèle allemand d’Albatros, le D III, doté lui d’un puissant moteur en ligne Mercedes ou Benz. Ces nouvelles machines, grâce à la surcompression et à l’utilisation de matériaux plus légers, l’aluminium notamment, concurrencent désormais les productions sophistiquées de Gnome-Rhône et de Clerget-Blin.

En avril 1917, un rapport du Sénat sur l’état de l’aviation souligne une crise des moteurs. Les chiffres de production de février sont en retrait de 40 % sur les prévisions, tant pour les rotatifs que pour les fixes de type Hispano-Suiza ou autre. L’industrie n’arrive plus à tenir la cadence en raison de difficultés d’approvisionnement en énergie et en carburant pour alimenter les essais. Toutefois, les chiffres semblent aussi révéler que les moteurs en ligne pourraient bien désormais avoir le vent en poupe. En effet, en mars 1917, Hispano-Suiza, avec 294 machines livrées, réussit à redresser fortement sa production et à tenir les objectifs figurant dans une note de service de décembre 1916, qui prévoyait 280 moteurs, tandis que la production des moteurs rotatifs ne se rétablit qu’avec lenteur. Ceci illustre le fait que, comme le souligne Gérard Hartmann, le temps de fabrication d’un moteur fixe à cylindres en ligne ou en V est trois fois moindre que celui d’un rotatif de même puissance. Il a en outre l’avantage de pouvoir être fabriqué dans l’industrie automobile, l’inverse étant plus malaisé : le moteur rotatif, avec sa haute technologie, son usinage et son montage très précis, demande un savoir-faire spécifique, il ne se prête pas à la fabrication en grande série sur des chaînes standardisées. Les constructeurs de moteurs rotatifs en restent donc à une organisation traditionnelle de la fabrication, moins productive mais qu’ils poussent au maximum, au détriment souvent de la sécurité et au prix de nombreux accidents du travail.

Photo-moteur-Hispano-Suiza-Bois-Colombe

Moteur Hispano-Suiza sur un banc d’essai à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine).

Outre leur fabrication compliquée, les moteurs rotatifs posent depuis le début quelques problèmes d’utilisation. Le pilotage est délicat en raison du fort effet de couple dû à la rotation du moteur : l’avion a tendance à se cabrer lors des virages à gauche et à piquer lors des virages à droite. Le réglage de la puissance est difficile, bien qu’il ait été amélioré par un système complexe d’allumage permettant de n’utiliser que 3 ou 6 des 9 cylindres. La consommation d’huile est considérable – un litre d’huile pour cinq litres de carburant sur les premiers modèles – et son éjection à l’air libre pose des problèmes de visibilité au pilote, en partie résolues par l’adjonction d’un capot. Avec une révision toutes les vingt heures, la maintenance est deux fois plus lourde que sur les moteurs fixes. En outre, la puissance reste limitée. Cependant, les « rototos » continuent à tourner sur les modèles d’avions existants et à équiper de nouveaux appareils. Dans le même temps, d’autres constructeurs expérimentent des modèles fixes en étoile ou en double étoile, de plus en plus gros et puissants, dont certains restent à l’état de prototype.

Photo-usine-Salmson-moteur-essai

Usine d’aviation Salmson (Billancourt ?). Moteur de 500 ch, 18 cylindres au banc d’essai.

Comme pour l’artillerie, le cinéma scientifique se met au service de l’industrie et de la pédagogie. Le Service cinématographique technique de la direction des Inventions réalise des films sur le fonctionnement interne des moteurs rotatifs. L’un d’eux, particulièrement pédagogique, porte sur le moteur Gnome et Rhône 9C et montre les phases successives de son fonctionnement : partant d’une vue externe de l’engin en rotation, il fait plonger le spectateur dans les profondeurs de la mécanique par une série de plans de plus en plus rapprochés, en coupe ; l’admission, la compression et l’éjection des gaz sont matérialisées pour la caméra par de la ouate, tandis qu’un assistant présente des ardoises explicatives et actionne les pièces. Ce document animé était peut-être destiné à la formation théorique des mécaniciens chargés de l’entretien des appareils sur le terrain.

Photo-film-instruction-moteur

Film d’instruction sur le moteur Le Rhône 9 C (photogrammes). Opérateur Blanc, Charles.

D’autres films montrent la fabrication complète d’un appareil, par exemple celle d’un Bréguet 14 A2, biplace d’observation et de bombardement, visible sur le film L’Effort de l’aviation française (réf. 14.18 A 506).

Après l’armistice, près de 30 000 moteurs d’avions en stock ou en cours de livraison se retrouvent sur le marché. Du jour au lendemain, les constructeurs ne reçoivent plus aucune commande. Clerget-Blin qui, sur les conseils de Louis Loucheur, a réinvesti en 1918 la totalité de ses bénéfices pour augmenter sa production de moteurs d’avions dans la perspective de la poursuite de la guerre, subit un coup d’arrêt. Les industriels qui ont reçu des commandes de guerre sont, après une loi de 1920, fortement imposés sur les revenus engrangés pendant les hostilités. Certains s’en sortent car ils ont gardé leur activité traditionnelle, tels les constructeurs automobiles, ou parce que leur siège social est à l’étranger (Hispano-Suiza). Clerget-Blin doit verser 500 millions de francs. Ruiné, Eugène Blin se suicide. L’entreprise est dissoute et tout le personnel licencié. Pierre Clerget entre alors au Service technique de l’aéronautique et doit continuer à éponger la dette fiscale de la défunte entreprise sur son salaire. Il se consacre désormais aux moteurs d’aviation diesel. Malgré le décès des ingénieurs Louis Séguin en janvier 1918 et Louis Verdet en novembre, victime de la grippe espagnole, la société Gnome et Rhône se restructure et se diversifie temporairement vers le cycle, l’automobile et les machines à coudre, avant de se relancer dans l’aéronautique à partir de 1923. Elle est intégrée à la SNECMA après la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, en 1918, l’industrie des moteurs d’aviation français a su conserver et affirmer sa prééminence mondiale. Elle a réussi à produire 44 000 engins en onze mois et 4 450 pour le seul mois d’octobre, soit le double de ce qu’ont produit la Grande-Bretagne et l’Allemagne pour la même période, et le triple par rapport aux fabrications américaines. À la fin de la guerre, la France détient 40 % de la construction mondiale. Cette industrie a essaimé à l’étranger par le biais des licences concédées aux pays alliés, qui ont décliné des gammes locales. Elle a également inspiré les constructeurs allemands qui ont utilisé à leur profit certains concepts inventés par les ingénieurs motoristes français. Les avancées technologiques réalisées sous la forte pression des commandes militaires sont considérables.

Les conditions de la production : énergie, outillage, rationalisation

Le manque de charbon, et par conséquent la difficulté d’approvisionner les machines à vapeur, donne un coup d’accélérateur à l’industrie électrique. Au début de la guerre, les six compagnies qui fournissaient l’électricité à la capitale par secteur viennent d’être regroupées en une société unique, la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE), qui délivre une puissance de pointe de 65 000 kW, suffisante pendant les deux premières années du conflit car la consommation des particuliers stagne. Mais à la fin de 1916, afin d’assurer la fourniture d’énergie aux industries travaillant pour la défense nationale, il s’avère nécessaire de réglementer de façon drastique la consommation privée. Une ordonnance du préfet de Police, dont l’affiche est photographiée dans une rue par l’opérateur Albert Moreau, établi pour l’hiver 1916-1917 un barème basé sur les consommations de l’année précédente et les restreignant fortement. Il est stipulé que les dépassements donneront lieu à des jours de privation de courant. La capitale fait alors appel aux compagnies d’électricité privées de la banlieue (notamment la Société d’électricité de Paris à Saint-Denis et l’usine du Triphasé à Asnières). Malgré l’usage croissant de l’électricité, le gaz est encore très utilisé, comme le montre la salle des machines des abattoirs de la Villette : la force motrice y est fournie par des machines à piston et un compresseur fabriqués par la Compagnie des moteurs à gaz et des constructions mécaniques, qui a ses ateliers rue de la Croix-Nivert.

Photo-salle-des-machines-abattoirs-La Vilette

 

Paris. Salle des machines des abattoirs de la Villette.

Le gaz de la région parisienne provient en partie d’un établissement de Clichy, l’usine de la Société du gaz de Paris, où travaillent pendant la guerre des ouvriers algériens. En 1914, elle possède sept gazomètres qui produisent plus de 3 000 mètres cubes de gaz à partir de la distillation du schiste bitumeux.

Photo-usine-à-gaz-Clichy

Usine de gaz à Clichy (Hauts-de-Seine). Sortie du coke dans des voitures spéciales.

Comme le souligne Toshikatsu Nakajima, l’augmentation du recours à l’électricité ne signifie pas que l’on modifie les systèmes de transmission. Les machines à commande individuelle ne concernent que le petit usinage. Les autres restent dépendantes des grands systèmes de courroies qui parcourent les ateliers, telles des forêts de lianes, de sorte que leur disposition ne peut guère se modifier, ce qui n’est pas fait pour fluidifier l’enchaînement des opérations de production d’une part ni s’adapter rapidement à la variété des commandes d’autre part.

Le secteur français de la machine-outil est de tradition ancienne et a prospéré à Paris sous le Second Empire. Decoster, Pinchart-Deny et Bouhey, constructeurs parisiens dont plusieurs exemples de réalisations sont visibles dans les reportages des photographes militaires, existent depuis le milieu du XIXe siècle. Decoster fabrique des raboteuses et des machines à tailler les engrenages à Montparnasse. Pinchart-Deny a ses ateliers rue Saint-Sabin, dans le XIe arrondissement. Bouhey, qui devient ensuite la Société d’outillage mécanique et d’usinage d’artillerie (SOMUA), est implanté avenue Daumesnil et à Saint-Ouen. Le secteur est cependant déjà fortement concurrencé avant-guerre par les importations américaines et allemandes. En 1913, il occupe 3 000 ouvriers pour une production de 8 000 tonnes de machines ; la même année, 24 000 tonnes de machines sont importées et pourvoient aux trois-quarts des besoins de l’industrie française. En 1914, alors qu’il faudrait développer le secteur français pour pallier l’arrêt des importations en provenance d’Allemagne, les fabricants de machines-outils sont au contraire requis pour usiner dans l’urgence des obus et des bombes et ne peuvent plus se consacrer à leur activité traditionnelle. Avec la création du Comité interministériel de l’outillage mécanique, le gouvernement tente de faire repartir la production mais il faudrait pour cela y consacrer une partie de la main-d’œuvre disponible, ce qui ne fait pas l’affaire des militaires. Par ailleurs, le métal est contingenté. On va donc accentuer le recours à l’importation de machines anglaises et américaines, sur lesquelles l’autorité militaire exerce en outre un contrôle de répartition et d’affectation en fonction des besoins les plus urgents. Au cours du conflit, les livraisons de l’étranger bondissent (274 000 tonnes de machines importées de 1915 à 1921) et le secteur de la machine-outil n’emploie pas plus de personnel après la guerre qu’avant. Les clichés pris par les opérateurs de la SPCA montrent plusieurs machines anglaises et américaines (Davy-Bros Ltd à Sheffield par exemple, RD Wood & Co à Philadelphie ou Diamond Machine Co à Providence) en action dans les usines d’armement françaises de Saint-Étienne et de Saint-Chamond. Pendant ce temps, l’Allemagne, qui ne peut compter que sur ses propres fabrications (et sur le fer lorrain…), continue à développer ce secteur industriel et voit progresser le nombre de ses constructeurs. Après le conflit, de nombreuses machines allemandes seront livrées à la France au titre des dommages de guerre, ce qui ne contribuera pas au relèvement du secteur français de la machine-outil.

Photo-atelier-Dupeyron-casques-Adrian

Paris, Atelier Dupeyron. Emboutissage des casques Adrian sur une presse Pinchart-Deny.

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Saint-Étienne (Loire). Société des moteurs Leflaive et Cie. Alésage avec une machine de marque Bouhey.

On assiste pendant les quatre années de guerre à un début d’harmonisation des productions chez les sous-traitants qui doivent fournir aux industriels des roulements, magnétos, projecteurs, bougies et pièces diverses plus ou moins normés. Ils échangent des informations par le biais du Bulletin des usines de guerre, créé à l’initiative d’Albert Thomas, dans lequel sont publiés des articles sur l’économie, le commerce, la législation du travail mais également des rubriques techniques sur les procédés de fabrication. Le processus d’harmonisation est encouragé par le ministère du Commerce et de l’Industrie qui met en place, par un décret du 10 juin 1918, la Commission permanente de standardisation, ancêtre de l’Association française de normalisation (AFNOR). Par ailleurs, les usines tentent de rationaliser leur production. La question demeure pendante de savoir s’il s’agit d’un véritable mouvement de taylorisation ou de l’emprunt de quelques méthodes d’organisation vues sur des chaînes de montage étrangères, simplement transposées sur la production locale. Quelques entreprises possèdent avant 1914 un véritable bureau d’étude des méthodes de travail mais le processus entamé est plutôt freiné par l’arrivée de la guerre : en effet, la pertinence des expériences acquises avant le conflit devient caduque car, du jour au lendemain, on ne fabrique plus les mêmes produits. L’usine doit faire face à plusieurs grandes mutations :

. elle n’a plus les mêmes objectifs (passage d’une fabrication spécifique à des produits militaires),

· elle ne dispose plus de la même main-d’œuvre (femmes, déqualification),

· elle ne s’adresse plus au même marché (passage de la commande privée à la commande d’État),

· mais elle opère dans de nouvelles conditions morales (consensus des masses ouvrières autour de l’idée de la patrie à défendre, au-delà des conflits au sein de l’entreprise, du moins dans un premier temps) susceptible de favoriser les changements.

La nécessité d’abandonner une spécialisation et de se reconvertir dans l’urgence à d’autres procédés, sans référence au passé, oblige à l’innovation. Elle s’opère toutefois avec d’autant plus de difficulté que la conception de l’objet à produire (obus, pièces de fusil, etc.) se fait ailleurs, dans un bureau d’études distant qui ne peut directement influer sur l’organisation de la production. Celle-ci démarre dans une certaine improvisation et doit être ultérieurement révisée puis changée au fil des commandes successives de produits différents. Dans ces conditions, il est difficile d’appliquer entièrement les principes du taylorisme, du moins au début. Une photographie prise à l’arsenal de Brest montre cependant une certaine organisation en chaîne : des obus arrivent d’un atelier voisin sur un plan incliné devant deux femmes qui les dirigent ensuite vers une table disposée perpendiculairement, où une double rangée d’ouvrières semble chacune effectuer une opération de vérification. La guerre accélère des processus qui étaient déjà en germe localement, notamment chez certains constructeurs automobiles auxquels l’obligation de fabriquer des obus en grande série donne des idées sur la future réorganisation de leur chaîne de production spécifique. Cependant, dans l’esprit tayloriste ou fordiste, l’augmentation du rendement de l’ouvrier doit s’accompagner de celle des salaires et d’une diminution du temps de travail, ce qui n’est pas le cas pendant le conflit, le but premier de la rationalisation étant une production poussée au maximum.

Photo-Arsenal-Brest-obus

 

Arsenal de Brest (Finistère). Atelier de contrôle des obus après la finition.

L’obligation d’employer une main-d’œuvre féminine va par ailleurs faire progresser les processus au sein des usines sur les plans de la manutention et du contrôle de la qualité. Comme il est nécessaire d’économiser la force musculaire des ouvrières pour la consacrer le plus possible à l’usinage, l’État incite les industriels, dont certains sont réticents, à développer des procédés d’aide à la manipulation des pièces lourdes. Dans un rapport présenté au Sénat le 20 novembre 1916, Paul Strauss préconise « le recours aux engins de transport, ponts roulants, monorails suspendus, chariots légers à traction mécanique, électrique, plans inclinés, etc. ». Il cite notamment les efforts entrepris sur ce plan par l’entreprise Gobron, à Meudon, où les femmes sont employées à l’usinage d’obus de 270 mm. Quant à la déqualification de la main-d’œuvre entraînée par l’augmentation du pourcentage d’éléments féminins, encore peu habitués au travail de la métallurgie, elle va avoir paradoxalement l’effet de mettre l’accent sur le contrôle de la qualité. En effet, ce dernier est, avant la guerre, en partie assuré par les ouvriers qualifiés mais ils sont partis au front et ne sont plus assez nombreux dans les usines, malgré le retour organisé d’une partie d’entre eux. Il est donc nécessaire de pallier leur absence par la création de cette étape de la production, le contrôle, qui est assuré par des femmes.

 Bien qu’il existe quelques tentatives de formation professionnelle en amont dans les écoles pratiques d’industrie ou les écoles d’Arts et Métiers, l’essentiel de la formation de la main-d’œuvre féminine s’effectue au sein des entreprises. Certains établissements, tels l’arsenal de Puteaux, mettent en œuvre des parcours professionnels : après l’acquisition d’une première expérience dans l’usinage sous la direction d’un outilleur, les femmes « peuvent demander à passer l’essai de tourneur ou d’ajusteur professionnel comme les hommes ».

 


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